7-1 | Table of Contents | DOI 10.17742/IMAGE.VOS.7-2.13| CasemajorStrawFrancaisPDF
Nathalie Casemajor | INRS - Urbanisation Culture Société
Will Straw | McGill University
Traduction : Jonathan Rouleau
LA VISUALITÉ DES SCÈNES
Cultures urbaines et formes visuelles des paysages scéniques
Ce numéro de la revue Imaginations propose une série de rencontres entre la notion de scène, telle qu’employée dans les études sur les agencements de la vie culturelle, et une variété de propositions théoriques traitant du statut du domaine visuel. Parmi les publications récentes au sujet des scènes culturelles, peu ont dialogué avec les travaux issus des études visuelles, ou même considéré les propriétés visuelles des scènes. Ce peu d’intérêt est surprenant eu égard à la dimension visuelle qui se trouve au cœur de l’étymologie du terme scène. Notre objectif n’est pas ceci dit d’affirmer la primauté de la visualité dans l’analyse des scènes, comme si, ayant perdu certaines de ses associations originales, la scène devait ré-établir sa visualité au nom d’un fondamentalisme étymologique. Toutefois, amorcer une réflexion théorique sur les scènes en engageant le dialogue avec les études visuelles s’avère particulièrement pertinent étant donné l’attention croissante portée aux notions de scène et de visualité dans les études culturelles actuelles.
L’histoire de la notion de scène dans le traitement de la culture urbaine est complexe. Utilisée informellement pendant des décennies pour décrire des configurations d’activités culturelles vaguement organisées, cette notion a récemment fait l’objet d’un développement plus formel dans les domaines de l’étude des musiques populaires (Shank; Straw), de la critique de l’art contemporain (Gielen) et de la sociologie des aménités urbaines (Silver et al.). Ces dernières années ont d’ailleurs vu émerger une approche nommée « scene thinking » (Woo et al.). Dans la même période, la notion de visualité a pris une place de plus en plus importante dans l’analyse de la culture. À partir de la fin des années 1980, la visualité a bénéficié d’un traitement conceptuel renouvelé en histoire de l’art (Foster), avant d’être adoptée au sein de nouveaux champs tels ceux des études visuelles (Mirzoeff, « Invisible Empire ») et de la géographie culturelle (Tolia-Kelly et Rose). Les études visuelles, en particulier, ont jeté un nouvel éclairage interdisciplinaire sur l’expérience de voir et d’être vu, envisagée comme un fait social enchevêtré dans des relations de pouvoir et des ordres visuels, eux-mêmes caractérisés par une singularité culturelle.
Il est déjà possible d’entrevoir quelques convergences possibles entre la théorie des scènes et les études visuelles dans les nombreux travaux récents sur les cultures urbaines. La compréhension des scènes s’est progressivement élargie, avançant au-delà de l’idée d’une forme organisationnelle cristallisée autour d’un style d’expression culturelle, pour inclure aussi la façon dont les scènes se conjuguent avec les textures sensorielles de la vie urbaine. Ces textures ne sont pas seulement visuelles, bien entendu, mais en observant les économies intersensorielles de la vie urbaine, on constate que de nombreuses formes culturelles, comme celles de la musique ou de la gastronomie, se manifestent aussi dans le domaine du visuel, prenant ainsi part aux scenescapes (ou paysages scéniques) des villes contemporaines. Explorer les dimensions visuelles des scènes permet de situer l’analyse de la musique et des diverses formes culturelles urbaines en relation avec le tournant visuel (visual turn) diagnostiqué dans les études sur la culture (Dalle Vacche). Les multiples tournants de ces dernières décennies ont mobilisé une foule de problématiques esthétiques, sociales et politiques, dont l’analyse des formes culturelles ne peut que bénéficier. En formulant de nouvelles façons d’articuler les notions de visualité et de scène, ce numéro spécial vise à contribuer plus largement à l’analyse de la culture et de la socialité dans la sphère publique urbaine.
Visualité urbaine
1.1 La visualité et le tournant visuel
Le terme de visualité a fait l’objet d’un développement renouvelé et d’une systématisation depuis la fin des années 1980. Quoique son usage remonte aussi loin que le 19e siècle et même au-delà, il fut porté à l’avant-plan par l’ouvrage collectif Vision and Visuality, édité par Hal Foster en 1988. Issus des domaines de l’histoire, l’histoire de l’art, la critique d’art et la psychanalyse, les auteurs du volume insistent sur la centralité de la notion de visualité pour analyser le fait de voir et d’être vu comme des construits socioculturels. Ils proposent d’examiner « comment nous voyons, comment nous sommes capables de voir, autorisés ou poussés à voir, et comment nous voyons le fait de voir et ce qui manque à être vu » (Foster ix)[1]. Dans cette perspective, la visualité est considérée non pas comme la somme de toutes les images, mais comme un ensemble de formes et de pratiques, contextualisées dans des agencements culturels et historiques, imbriquées dans des relations de pouvoir et co-constitutifs d’ordres sociaux. Sumathi Ramaswamy conçoit ainsi le domaine visuel comme « constitutif et révélateur du monde, et non simple reflet du monde » (12). Transcendant la notion d’image comme représentation, l’étude de la visualité dépasse l’investigation esthétique des œuvres d’art pour englober un large éventail de processus, formes et dispositifs visuels, y compris la perception, la vision, le regard, les technologies de création d’images et leur impact sur l’environnement visuel – autrement dit, une série de dimensions interreliées et combinées dans l’« expression d'un espace physique et psychique » (Mirzoeff, The Right to Look 2-3).
L’intérêt croissant pour le champ visuel s’est amplifié au début des années 1990 avec le « tournant iconique » proposé par l’historien de l’art et philosophe allemand Gottfried Boehm (Was ist ein Bild? [What is an Image?]) ainsi qu’avec le « tournant pictorial » lancé par son homologue américain W.J.T. Mitchell (The Reconfigured Eye). Ces deux cadres ont donné lieu à un dialogue productif : Boehm a développé une « science des images » (science of images) centrée tant sur la perception visuelle que sur l’herméneutique des images (Towards a Hermeneutics), alors que l’approche de Mitchell (image science) a fourni une critique de la culture visuelle et de l’esthétique médiatique à travers l’analyse des « images vivantes » (living images; What Do Pictures Want?). Ce débat s’est largement déployé dans les paramètres de la phénoménologie (envisageant la visualité comme expériences du voir), la sémiotique (la visualité comme ensemble de signes visuels), et l’herméneutique (par les processus de création de sens dans le domaine visuel). Les instigateurs de cette discussion se sont efforcés de déconstruire le logocentrisme, contestant les critiques classiques de la vue comme superficielle et trompeuse. Cependant, plutôt que de s’opposer au tournant linguistique, ou d’imposer le domaine visuel comme un trope dominant, les contributions les plus fructueuses ont proposé de reconfigurer l’articulation entre le discursif et le visible. Thématisées à travers les catégories de la surface visuelle et de la profondeur discursive, ces deux dimensions sont interconnectées dans une relation « mutuellement constitutive (horizontale) » (Bartmanski et Alexander 4).
Alors que le paysage de l’analyse culturelle se transformait rapidement dans les années 1990 avec l’inflation de divers tournants et champs d’études, le domaine des études visuelles s’est formé à la jonction de diverses traditions disciplinaires (Bachmann-Medick). Le renouvèlement de cette attention portée aux phénomènes visuels s’est par la suite enrichi sous l’influence des études culturelles (avec notamment l’analyse des cultures populaires et contemporaines), des études des médias (au moment où les technologies numériques transformaient les environnements médiatiques), des études du genre et de la performance (liées à l’analyse critique de l’action et de la mise en scène des corps) et des théories postcoloniales (avec l’ouverture aux traditions non occidentales et antihégémoniques). La rencontre du tournant visuel et du tournant matériel[2] a par ailleurs inspiré des propositions dans le champ de la sociologie culturelle pour repenser l’iconologie au prisme de la matérialité (Bartmanski et Alexander). Dans le champ de la géographie culturelle, la conjonction du tournant visuel et du tournant spatial a provoqué de nouvelles explorations visuelles de l’espace et des corps (Tolia-Kelly et Rose). Les méthodes en recherche visuelle ont aussi gagné en popularité depuis les années 1990, particulièrement dans les domaines de la sociologie visuelle et de l’anthropologie visuelle, fournissant de nouveaux outils pour la collecte, le traitement, l’analyse et la diffusion des données de recherche (Margolis et Pauwels)[3]. La notion de visibilité, qui a aussi joui d’une attention considérable dans les dernières décennies, dépasse quant à elle le champ visuel pour s’intéresser plus largement aux phénomènes sociaux de la publicité (au sens du statut public des choses)[4]. Adoptée en sociologie, en communication et en sciences politiques, cette approche de la visibilité a suscité diverses études sur les dynamiques de pouvoir et l’exclusion dans la sphère publique (Honneth), sur le contrôle et la surveillance (Ericson et Haggerty), sur la formation du capital symbolique dans le culte des célébrités (Heinich) et sur les conditions de la découvrabilité des contenus sur le Web (Koed Madsen).
De façon générale, cet intérêt accru pour le domaine visuel a soulevé de nouvelles questions épistémologiques en analyse culturelle. Mais plutôt que de converger vers un cadre homogène, elles ont donné lieu à de multiples programmes de recherche, principalement regroupés autour des trois notions de visualité, de pictorialité et d’iconicité. De toutes les notions qui ont émergé du tournant visuel, celle de visualité semble être la plus compréhensive, sa portée analytique dépassant les catégories plus restreintes de l’icône et de l’image. La vaste gamme de phénomènes rassemblés sous la bannière de la visualité donne matière à décrire la formation des systèmes de pouvoir qui gouvernent les imaginaires sociaux et les « subjectivités axées sur la vision » (Ramaswamy 1). Malgré leurs différences, ces trois cadres (visualité, pictorialité et iconicité) ont contribué à forger une perspective historique et critique des dynamiques de pouvoir et des ressorts idéologiques du domaine visuel[5]. La formation des conditions visuelles du monde social a notamment été analysée selon les catégories du régime visuel, du régime scopique (Metz; Jay, « Scopic Regimes ») et de l’ordre visuel (Boehm, « Pictorial Versus Iconic Turn »). Ces catégories visent à élucider la co-constitution de faits visuels, de dynamiques macrosociopolitiques et de processus de subjectivation. Elles contextualisent aussi ces formations à l’intérieur de cadres culturels, dévoilant les effets de la différenciation culturelle dans la constitution des régimes visuels. Enchevêtrée dans l’histoire de la modernité, de l’industrialisation, de l’impérialisme et de l’innovation technologique, la formation historique et culturelle des régimes visuels a contribué à façonner les cultures urbaines contemporaines.
1.2 La vue et la ville
Les contributions rassemblées dans ce numéro abordent les dynamiques de la vie culturelle des villes du point de vue de la visualité urbaine. Leurs cadres conceptuels sont ancrés dans des perspectives variées, que l’on peut regrouper selon trois principales orientations : les villes comme environnements optiques, les conditions visuelles de l’interaction sociale, et les dynamiques de la culture populaire globalisée.
1.2.1 L’espace urbain comme environnement optique : perception et subjectivités modernes
Une première perspective explore les caractéristiques optiques des environnements urbains dans le contexte historique de la modernisation et de la transformation des structures de la perception. Les technologies numériques actuelles, avec leur pléthore de nouveaux instruments de caméras à vision, téléphones cellulaires, services de cartographie en ligne et expérimentations en réalité virtuelle—, viennent renforcer l’oculocentrisme des sociétés modernes, érigeant « la vision comme sens dominant de l’ère moderne » (Jay, « Scopic Regimes » 3). Avec ces technologies de vision, une nouvelle strate de complexité s’ajoute à la perception oculaire de la vie urbaine. Ce changement des conditions de perception s’inscrit dans les dynamiques historiques plus générales qui ont contribué à former les épistémologies et les subjectivités modernes. Les historiens de l’art ont largement documenté l’entrelacement de ces dynamiques, en faisant apparaître que les « les transformations historiques qui ont affecté les conceptions de la vision sont inséparables d'une refonte plus globale de la subjectivité, qui ne concernait pas seulement les expériences optiques, mais les processus de modernisation et de rationalisation au sens large » (Crary, « Suspension of Perception » 3).
Depuis le début de l’ère moderne, la représentation picturale de la ville a été un domaine privilégié pour expérimenter de nouveaux modèles de vision. Durant la Renaissance italienne, la peinture de paysages urbains a exploré la technique de la perspective tirée du mécanisme de la camera obscura, que Leon Battista Alberti a décrit comme une fenêtre sur le monde (ou sur la ville). À l’instar d’Erwin Panofsky, la littérature académique a généralement décrit ce développement de la perspective comme un signe de la domination du modèle cartésien du savoir, qui positionnait un sujet transcendantal, incorporel et souverain au centre des modes d’observation scientifique et picturale. Selon Jonathan Crary, ce modèle rationnel d’une vision supposée objective a toutefois été contesté au 19e siècle par l’étude des conditions physiologiques et psychologiques de l’expérience visuelle, donnant le jour à de nouveaux modèles épistémologiques fondés sur « la subjectivité corporelle de l’observateur » (Techniques of the Observer » 4). En fin de compte, plutôt que d’induire une succession chronologique de régimes visuels homogènes, une analyse nuancée de ce processus historique fait plutôt apparaitre une coexistence de régimes pluriels et contestés (Jay, « Downcast Eyes » ; Brighenti).
À mesure que l’industrialisation et la croissance urbaine transformaient la vie urbaine, la perception visuelle s’est trouvée remodelée par les nouvelles logiques du capitalisme et de la culture de masse, aux prises avec des stimulations sensorielles inédites. Ces transformations ont inspiré de nombreux travaux dans le cercle de l’École de Francfort, incluant les analyses de Siegfried Kracauer et de Walter Benjamin sur l’expérience sensorielle de la métropole et de ses foules, ses vitrines de marchandises et ses ornementations architecturales[6]. La condition du « sujet visible » (Foster xiii) dans l’espace urbain, traversé par des rapports de pouvoir et des logiques commerciales, a rapidement évolué dans les dernières décennies 20e siècle, sous l’influence combinée des progrès de la science informatique, des neurosciences et de la psychologie cognitive, qui ont mené à de nombreuses innovations en vision machinique et en intelligence artificielle. L’imbrication des environnements numériques et urbains a généré de nouvelles conditions de vision et de gouvernance dans la ville, redéfinissant la relation entre observation visuelle, savoirs et pouvoirs. Par exemple, l’utilisation croissante des technologies de reconnaissance faciale dans les commerces de détail rend possible un profilage des clients qui repousse les limites de l’intrusion dans la vie privée. Plus largement, les modèles de vision suscités par les technologies numériques mettent à l’épreuve la frontière entre visions objective et subjective. Ces nouvelles conditions techniques influencent significativement les rapports de pouvoir, les pratiques culturelles et les subjectivités contemporaines qui se déploient dans l’espace urbain.
1.2.2 Interaction visuelle, socialité urbaine et surveillance
Une deuxième perspective explore le rôle de l’interaction visuelle dans la socialité urbaine. Elle s’attache au caractère social du sens visuel, entendu comme modalité de l’interaction entre individus et au sein des groupes, mais aussi comme mise en relation entre affects collectifs—ce que Christian Metz définit comme « le désir de voir (= instinct scopique, scopophilie voyeurisme) » (15) — et rapports de pouvoir.
Dans la vie quotidienne urbaine, la perception visuelle de l’appartenance sociale et de la différentiation culturelle façonne largement les interactions sociales. Comme le soulignent plusieurs contributions dans ce numéro, l’habillement, les parures, les coiffures et les tatouages fonctionnent comme des signes visuels qui peuvent indiquer l’affiliation à une classe sociale, à un groupe religieux ou à un mouvement subculturel. Ils projettent aussi les caractéristiques visibles d’un statut symbolique, contribuant à la distinction sociale et à la reproduction des hiérarchies entre groupes et individus. La différentiation culturelle ne se manifeste pas uniquement dans le fait d’arborer des signes visibles, mais aussi dans la pluralité des cultures du regard : David Frisby et Mike Featherstone ont noté que « ces dernières années, les variations culturelles dans les modes de voir, d'entendre et de sentir l’autre ont suscité une attention croissante » (9).
Au niveau interindividuel, le regard est une modalité d’interaction puissante qui établit des relations de distance et de proximité. La sociologie de sens de Georg Simmel a suggéré que le contact visuel et les regards réciproques créent des moments d’intimité et de reconnaissance mutuelle. Dans les travaux d’Erving Goffman, la dimension visuelle de l’interaction ordinaire en face à face opère davantage comme un élément de mise en scène sociale. Goffman a caractérisé la position relative des acteurs et des spectateurs dans les scènes de rue (impliquant passants, témoins et curieux) à travers les figures de l’initié (insider) et du tiers extérieur (outsider). Ces types sociaux peuvent s’étendre à l’analyse des expériences visuelles des touristes vis-à-vis des locaux (Urry), ou des spectateurs immobiles (sur les terrasses, les balcons et aux fenêtres) et des observateurs en mouvement (les flâneurs, conducteurs de voiture et cyclistes).
Les relations de pouvoir qui s’établissent entre observateur et objet de vision façonnent l’interaction visuelle dans l’espace urbain. Cette stratification sociale se manifeste en particulier dans le regard genré et racisé qui révèle une dissymétrie dans les pratiques et les expériences du regard entre groupes issus de différentes classes, ethnies et genres. Les études féministes et afro-américaines ont notamment exposé la façon dont l’expérience visuelle peut s’inscrire dans des pratiques de domination et de surveillance. Ainsi, le droit de regarder n’est pas nécessairement réciproque : d’une part, le regard dominant tend à objectifier le corps de l’autre (les corps féminins en particulier), alors que d’autre part, des groupes subordonnés peuvent être privés du droit de retourner le regard. Dans ses travaux sur le regard des Noirs (black looks), Bell Hooks a souligné que durant la ségrégation aux États-Unis, les Noirs pouvaient être violemment punis pour avoir observé des personnes blanches, provoquant « une impérieuse envie de regarder, un désir rebelle, un regard oppositionnel » (116).
Le progrès des techniques d’observation et de surveillance visuelle a accompagné le développement des activités militaires, coloniales et disciplinaires, incluant la visualisation des champs de bataille (de la simple carte papier aux flux vidéo des drones, en passant par la photographie satellitaire), les moyens de surveillance des bateaux d’esclaves (Browne) et des plantations coloniales (Mirzoeff, « The Right to Look »), ou encore le stop-and-frisk, méthode de contrôle urbain controversée qui cible en particulier les minorités ethniques dans l’espace public des villes américaines. Le modèle classique du panoptique (l’observation de nombreux individus depuis un lieu central; Bentham dans Foucault) a inspiré divers travaux sur les réseaux de caméras de surveillance. Il a cependant été remis en question par une pléthore de nouveaux modèles[7], parmi lesquels se trouvent le regard synoptique (l’observation de quelques individus par un grand nombre de gens; Mathiesen), la visualité postpanoptique (surveillance globale à partir de multiples lieux; Bogard) et l’oligoptique (vision partielle et fragmentaire de la ville construite par Google Earth; Latour).
1.2.3 Culture populaire urbaine, médiatisation et mouvements globaux
Une dernière perspective articule la visualité urbaine avec les transformations de la culture populaire, de la médiatisation et de la globalisation culturelle. Elle concerne la position centrale des villes dans l’économie visuelle globale. En effet, les villes (particulièrement les métropoles) sont des sites privilégiés de production, de distribution, et de consommation d’expériences culturelles. Leur architecture iconique, leurs évènements à grande échelle et leurs infrastructures de production médiatique déploient une imagerie influente, qui façonne les imaginaires collectifs. Marquées par la migration et les flux touristiques, les cultures urbaines sont particulièrement imprégnées de valeurs cosmopolites et particulièrement propices à l’hybridation culturelle. Elles fonctionnent comme des laboratoires d’expérimentation où s’élaborent de nouvelles formes de divertissement, de création artistique et de styles de vie. Si elles sont influencées par les tendances globales, ces formes culturelles urbaines sont aussi largement diffusées dans les réseaux internationaux. Ce faisant, les relations traditionnelles entre visualité et identité locale sont de plus en plus reconfigurées par les processus transnationaux de déterritorialisation et de reterritorialisation (Sassen). Ces processus ont eu un impact sur les structures affectives qui définissent la localité, caractérisée par Arjun Appadurai comme « une propriété phénoménologique de la vie sociale […] qui est produite par des formes particulières d'activité intentionnelle et qui engendre des types particuliers d'effets matériels » (182). Considérant l’accumulation de richesse et de pouvoir politique dans les zones métropolitaines, ainsi que les inégalités croissantes et la ségrégation spatiale, plusieurs des contributions à ce numéro dépeignent l’espace urbain comme le berceau de répertoires visuels de contreculture (pensons aux murales de graffitis), mais aussi de contestation sociale.
Par ailleurs, la visualité de la culture populaire urbaine oscille entre hypervisibilité et infravisibilité. Du côté de l’hypervisibilité, les formes du spectacle urbain se sont multipliées sous l’influence de l’industrialisation et de l’innovation technique. S’ajoutant aux activités traditionnelles de loisir et de divertissement culturel (performances théâtrales et musicales, cirques, foires), la mécanisation des systèmes optiques et des procédés techniques de reproduction des images a diversifié les formes de spectacle immersif en ville. Le 19e siècle a vu l’apparition des dioramas, stéréoscopes et, plus tard, des salles de cinéma, alors que les progrès de l’impression industrielle permettaient la dissémination massive de photographies, cartes postales, brochures, affiches et magazines. Cette industrie de l’image en plein essor, renforcée au milieu du 20e siècle par l’apparition de la télévision, a produit de nouveaux portraits documentaires et récits fictionnels de la vie sociale urbaine. À l’ère postindustrielle de l’économie créative (Graeme), ce sont la mode, le design interactif et les jeux vidéo qui gagnent en influence dans la sphère de la création visuelle, contribuant ainsi à renforcer la centralité des villes comme sites de production d’images. Rivalisant entre elles pour capter la manne du développement touristique, les métropoles investissent dans les évènements festifs, l’animation de la vie nocturne et la gastronomie pour forger et imposer leur image de marque dans l’espace des échanges globalisés.
Cette pléthore de spectacles urbains, incluant les écrans géants et le mapping vidéo des bâtiments, participe à ce que l’anthropologue français Alain Mons nomme la « l’esthétisation généralisée » de l’espace urbain (19). Dans cette esthétique postmoderne, Christine Buci-Glucksmann voit une folie oculaire réminiscente du spectacle baroque. D’autant plus que les plateformes de partage de photographies en ligne comme Facebook, Instagram, Snapchat et Flickr viennent décupler la surabondance visuelle et la médiatisation synchrone des expériences urbaines. Or, si l’omniprésence du spectacle dans l’espace de la ville et la profusion des images médiatisées caractérisent en partie la visualité urbaine, un large ensemble de pratiques culturelles appartiennent au domaine de l’infravisible. Hors champ, extérieures aux principaux sites de visibilité publique, les cultures alternatives ou sous-représentées contribuent tout autant au tissu social et à la créativité visuelle de la vie urbaine. Par exemple, certaines minorités culturelles trouvent dans les fêtes privées un espace collectif pour exprimer la diversité culturelle absente de nombreuses salles de spectacle. Pensons également aux scènes gaies que la réprobation morale a longtemps poussées dans la contre-culture. Relèvent également de l’infravisible le mouvement des raves qui garde ses lieux de rassemblement secrets jusqu’à la dernière minute pour éviter les descentes policières, ou encore les mouvements politiques ou artistiques qui cherchent à se tenir à l’écart, restreignant volontairement la visibilité de leurs activités et limitant l’accès à leurs assemblées, réservées à des réseaux étroits d’initiés. Les contributions à ce numéro s’intéressent à ces dynamiques complexes en investiguant comment la notion de scène peut exprimer la visualité et la visibilité—ou l’invisibilité—des mondes sociaux et des phénomènes culturels urbains.
2. Les scènes et la visualité des mondes sociaux
2.1. La scène comme théâtre de sociabilité
Au gré de son histoire, le terme de scène a fluctué entre plusieurs champs sémantiques et conceptuels. Les fluctuations de ce terme sont notamment dues à sa versatilité en anglais et dans les langues latines, où il peut désigner aussi bien la fixité d’un espace de vision délimité (comme lorsque la police tente de « sécuriser une scène de crime ») que le flux de la vie urbaine (comme en référence à « la vitalité de la scène artistique de Mexico »[8]). Bien que dans les langues latines, les différents termes équivalents à l’anglais scene (tels que le français scène, l’espagnol escena et le portugais cena) partagent un lot d’acceptions communes, ce vocable s’est aussi départi de certaines significations en franchissant les frontières linguistiques. Ainsi, l’utilisation du terme scène pour désigner le plateau où se joue un spectacle (« monter sur scène »), qui prévaut en français, a été abandonnée dans l’usage en anglais. Par contre, dans les deux langues, le terme peut désigner une séquence d’actions organisées dans une forme narrative ou théâtrale, comme celle du roman ou de la pièce de théâtre (on parlera par exemple de la « scène finale »).
En anglais, l’histoire du terme scene révèle une scission entre différentes trajectoires d’usage. L’une de ces trajectoires conserve les racines théâtrales du terme. À partir du 17e siècle, le Oxford English Dictionary mentionne que ce vocable est utilisé pour décrire divers types d’apparition sociale (au sens d’arrivée dans une arène sociale), telle l’entrée en scène d’un auteur ou d’un politicien, ou l’irruption d’un rival sur une scène d’activité. Un trait de cette trajectoire consiste à rendre perceptible la dimension dramatique des espaces sociaux de la vie quotidienne, en référant à des plateformes abstraites où les phénomènes (les gens, principalement) deviennent visibles. Cette acception, rattachée à la performance théâtrale, subsiste également dans la référence à une personne qui « fait une scène »— c’est-à-dire qui s’exprime avec exagération.
On peut repérer une généalogie théâtrale du terme scène en parcourant le vocabulaire clé de la théorie sociale en langue anglaise, notamment les travaux d’Erving Goffman et de Kenneth Burke. L’œuvre de Burke est au cœur de l’essai que Steve Schoen signe dans ce numéro. En ce qui concerne Goffman, la façon dont il utilise le terme de scène ne déroge globalement pas aux usages conventionnels; il s’intéresse à ces moments où, sous le coup de la colère, quelqu’un fait une scène en réaction à un incident[9], mais il s’intéresse aussi aux scènes comme unités d’action singulière dans les films. Cependant, on peut déceler au fil de son œuvre un sens plus particulier de la scène comme agencement d’éléments (individus, actions, choses, lieux) dans lequel s’exprime une certaine condition morale ou sociale : dans Les Rites d'interaction, par exemple, Goffman décrit une « scène du jugement » (22), une « scène [de] considération mutuelle » (25), des « scènes de l’action » (157[10]), une « scène de la fatalité » (163), et ainsi de suite. Si la notion de scène n’est pas le pivot de la dramaturgie goffmanienne du comportement social, elle y est néanmoins régulièrement invoquée pour offrir une compréhension cohérente de l’orientation des situations d’interaction sociale.
Les diverses significations théâtrales du mot scène ont en commun le fait d’évoquer une forme de vie sociale qui entre dans un espace de visibilité publique pour l’occuper. Quand les pratiques de consommation—manger au restaurant ou assister à une performance musicale—participent au spectacle de l’effervescence urbaine, on peut avancer qu’elles relèvent d’une dynamique scénique. La manifestation des scènes n’est pas uniquement visuelle, bien entendu; elle inclut par exemple le brouhaha sonore des conversations et le mouvement haptique des corps qui s’agitent. Toutefois, à la suite d’Alan Blum (« Scenes »), on peut observer que dans une scène s’opère la transformation de l’intimité sociale en un spectacle public qui, en quelque sorte, se donne à voir, et de surcroit, cette transformation constitue un processus clé de l’urbanité. La dimension scénique émerge lorsque d’innombrables actes d’interaction sociale résonnent entre eux pour investir un espace particulier (un bâtiment, une rue, un quartier) d’un surplus d’énergie affective. De ce point de vue, la singularité des formes culturelles (qu’il s’agisse d’un style de cuisine ou d’un genre musical) n’est qu’un prétexte pour façonner le théâtre de sociabilité d’où les scènes tirent leur énergie.
2.2 La scène comme formation sociale
Un second pan de réflexion sur la notion de scène s’intéresse aux acceptions plus éloignées des racines théâtrales du terme. Dans cette trajectoire d’usage, la scène devient un levier d’analyse de la morphologie sociale, c’est-à-dire une façon de nommer des unités particulières ou des formes organisationnelles de la vie sociale. Une scène est alors comprise comme l’agrégation des lieux, des gens, des choses et des actions qui composent la vie d’un phénomène social particulier. Ces phénomènes sociaux (tels les genres musicaux et les activités récréatives) constituent le cœur d’une scène, le centre de l’attention et de la dévotion autour desquels les scènes s’assemblent et par lesquelles elles sont nommées et identifiées (comme en référence à « la scène des joueurs d’échec de Vicksburg au Mississippi »[11] ou la scène mondiale du black metal). Les questions centrales qui animent cette réflexion ne sont plus liées aux façons dont certains phénomènes intègrent l’espace de vision collective, mais aux façons dont un ensemble hétérogène d’éléments (individus, lieux, objets, styles, etc.) gravitent autour d’objets culturels singuliers (styles, pratiques, genres, etc.).
Cette acception du terme scène, décrivant un assemblage d’éléments autour d’un ensemble particulier d’objets ou de pratiques, a pris une place saillante dans les travaux universitaires sur la culture musicale publiés ces dernières années.[12] Journalistes et chercheurs ont commencé à avoir recours à cette notion lorsque d’autres termes servant à étiqueter les unités culturelles—subculture, communauté ou monde—ont été contestés en raison de leurs contours trop rigides ou de leur vision essentialisante de l’identité de groupe[13]. L’intérêt de ce virage vers le terme de scène n’est pas de chercher à dissoudre les profondes dimensions structurelles portées par ces autres notions dans une définition flottante, caractérisant un flux social indéfini. Il s’agit plutôt de trouver une façon de penser l’organisation des mondes culturels qui puisse reconnaitre leur élasticité et la multiplicité des manières de s’y engager.
Nous avons suggéré que le concept de scène sert à désigner deux types de phénomènes culturels. Dans une première acception, la scène capture le spectacle de la sociabilité urbaine qui est produite (ou exprimée) sous la forme d’une effervescence ou d’un excès dans le cadre des rituels de la vie urbaine. Dans une seconde acception, la scène est un réseau de phénomènes qui fondent et structurent la vie sociale des phénomènes culturels. À titre complémentaire, examinons un autre terme de plus en plus mobilisé en analyse culturelle, qui croise les dimensions théâtrales et organisationnelles : ce terme est celui d’« atmosphère ».
2.3 La scène comme atmosphère : résonance affective et unités de contenance
Dans un développement original de cette perspective, Ben Anderson décrit l’« atmosphère » comme un état résultant de l’interaction entre une pluralité d’intensités affectives au sein d’un « espace de résonance ». Il va de soi que le fait de posséder une atmosphère particulière a longtemps été l’un des attributs de ces contextes de sociabilité vivante exposés dans notre première définition du terme scène. Cependant, lorsque Anderson en vient à élaborer plus spécifiquement le concept de « sphère, » il contribue à développer la seconde définition du terme scène, soit l’arrangement d’éléments autour d’un « objet » culturel particulier (comme un style musical) :
Les atmosphères ont donc une forme spatiale caractéristique : la diffusion dans une sphère. En revenant à Deleuze et Guattari, on peut dire que les atmosphères sont générées par des corps (de multiples sortes) qui s’affectent mutuellement, produisant ainsi une certaine forme d'« enveloppement ». Les atmosphères ne peuvent être abstraites des corps qui se rassemblent et se séparent pour former des situations. Ces qualités affectives émanent de l'assemblage des corps humains, des corps discursifs, des corps non humains et de tous les autres corps qui composent les situations quotidiennes. (80)
Si le terme d’atmosphère capture l’effet d’effervescence au cœur de la première acception de scène (dans son sens théâtral), la notion plus étroite de sphère conduit à une seconde piste d’analyse, dans laquelle les scènes sont envisagées comme des « contenants ». Concevoir la scène comme un contenant, c’est prendre en compte sa capacité à retenir à l’intérieur de ses limites tous les phénomènes qui structurent la vie de certains styles culturels ou pratiques culturelles. L’idée d’atmosphère offre ainsi la possibilité de réconcilier différentes acceptions de la notion de scène, comme site de résonance affective générant un surplus d’intensité sociale, et comme unité de contenance, c’est-à-dire comme forme organisationnelle qui fait tenir ensemble les éléments constitutifs d’une pratique culturelle.
Dans les œuvres de fiction, autant littéraires que cinématographiques, une scène peut désigner n’importe quelle unité d’action relativement circonscrite : on parlera de la scène de la douche dans le film Psychose d’Alfred Hitchcock, ou de la scène du balcon dans Roméo et Juliette de William Shakespeare. Dans les études littéraires, le développement de la notion de scène retient cette capacité à désigner une unité textuelle, tout en prenant en considération la manière dont les textes littéraires peuvent dépeindre des formes de sociabilité. En s’intéressant à la visualité dans l’œuvre romanesque d’Honoré de Balzac, Renée de Smirnoff note comment, dans certains textes balzaciens, la logique séquentielle et narrative s’interrompt au moment où apparaît, devant le lecteur, la vision d’un tableau social. Ces tableaux sont des scènes au sens où ils ouvrent un champ de représentation dans lequel est exposé le spectacle des relations sociales, agencées dans un espace délimité, comme organisées pour l’œil du lecteur (de Smirnoff 232). Les séquences de banquet ou de fête dépeignent des personnages, des décors et toute une variété d’objets dans une forme de visibilité simultanée. Au beau milieu de la narration prend alors forme une scène, comme un tableau de relations distribuées dans l’espace. Ce tableau maintient l’acception précédente du terme scène au sens de contenant, dans la mesure où ses contours textuels circonscrivent la représentation des relations et de leurs éléments constitutifs.
Les scènes de mondes sociaux peuvent tendre à documenter et à exposer, dans une séquence panoramique étendue, un répertoire de types sociaux bien établis. Alain Badiou a évoqué dans ses écrits la « typologie populaire » qui peuplait les scènes de foule du cinéma français des années 1930 et 1940, donnant à voir des types sociaux emblématiques de la diversité sociale d’un monde voué à disparaitre. Ces scènes remplissent une fonction de cartographie sociale, visualisant la société au travers d’une population de types sociohistoriques, disposés dans l’espace du cadre cinématographique. En même temps, de telles scènes se caractérisent par un excès d’énergie collective et de précision descriptive qui dépasse leur portée strictement sociologique—c’est en effet le goût pour cette exubérance excessive qui fait apprécier le charme de ce genre cinématographique. Anthony Slide souligne qu’au 19e siècle, le vocable désignant un figurant dans une pièce de théâtre était celui de « surnuméraire », un terme qui évoque le surplus d’un collectif, excédant la charge dramatique individuelle de chacun des éléments qui le composent. Les scènes sociales ancrées dans les textes littéraires ou cinématographiques fonctionnent donc selon plusieurs logiques : elles ont une qualité d’inventaire, liée au fait qu’elles mobilisent une variété d’identités sociales; une qualité atmosphérique, due à l’énergie produite par la résonance des corps et des choses; et une qualité de spectacle visuel, liée à l’aménagement de riches séquences d’observation intercalées dans le flux de la narration.
2.4 La scène comme figure heuristique
Le recours à la notion de scène comme figure distinctive qui permet d’élaborer un savoir est notable dans l’œuvre de nombreux théoriciens et philosophes français. Dans sa biographie de Roland Barthes, Tiphaine Samoyault remarque à quel point la vie et la carrière de l’auteur peuvent être envisagées comme la traversée d’une série de scènes parisiennes emblématiques, des cercles théâtraux du jeune adulte aux avant-gardes littéraires et politiques des années 1960. Par ailleurs, Samoyault suggère que la scène est devenue un terme clé pour Barthes dans sa tentative de donner forme à des unités particulières de lutte culturelle. Samoyault retrace l’usage de la notion de scène chez Barthes : progressivement détachée de ses origines théâtrales (un aspect central des premiers travaux de l’auteur) elle est par la suite employée pour nommer les différents champs de bataille où sévit la « guerre des langages », motif de ses derniers écrits. Une scène, dans ce contexte, qualifie autant un rapport de force particulier que les situations concrètes dans lesquelles s’exprime le conflit entre ces forces.
« Le ‘tableau’ a toujours hanté Foucault », écrit Gilles Deleuze (86). En effet, les travaux de Michel Foucault, comme ceux de Jacques Rancière, sont marqués par une utilisation de la figure de la scène au sens conventionnel de tableaux descriptifs, à l’appui d’une démonstration. Il suffit de penser au spectacle de la violence qui ouvre Surveiller et Punir de Foucault. La définition la plus explicite du terme scène proposée par Rancière se trouve dans l’introduction de Aisthesis :
La scène n’est pas l’illustration d’une idée. Elle est une petite machine optique qui nous montre la pensée occupée à tisser les liens unissant des perceptions, des affects, des noms et des idées, à constituer la communauté sensible que ces liens tissent et la communauté intellectuelle qui rend le tissage pensable. La scène saisit les concepts à l’œuvre, dans leur rapport avec les objets nouveaux qu’ils cherchent à s’approprier, les objets anciens qu’ils tentent de penser à neuf et les schèmes qu’ils construisent ou transforment à cette fin. (12)
En tant que machine optique, la scène de Rancière participe à l’histoire générale de la visualité, au cœur de la réflexion de ce numéro spécial. La scène du théoricien—celle qui tisse des liens entre des forces sociales à des fins heuristiques—est de nature différente de la scène musicale ou gastronomique, forme sommaire d’organisation logée dans le flux de la vie contemporaine urbaine. Dans ces deux types de scène, toutefois, la visualité est modelée par une dynamique scénique à la fois intégrative et distributive. Les scènes rassemblent différents ordres de forces sociales et d’acteurs pour composer une image de leur entrelacement dans un rapport d’étroite proximité. Parallèlement, les scènes distribuent ces forces et ces acteurs au sein d’agencement particuliers qui prennent, à l’occasion, la forme visuelle du tableau.
Dans cette section, nous avons tracé quatre principaux modes de conceptualisation de la notion de scène. Nous pouvons les regrouper en deux paires d’acceptions. La première s’organise autour d’une compréhension expérientielle de la scène, au sens d’une action sociale qui se donne à voir comme spectacle théâtral, ou d’une atmosphère créée par la résonance d’intensités affectives. Dans cette perspective, la visualité des scènes est souvent réputée obscurcir les logiques sociales qui les fondent et qui les structurent de manière sous-jacente. Dans la deuxième paire d’acceptions, la scène est envisagée comme une forme d’organisation, réunissant des acteurs, des forces et des configurations matérielles autour d’un objet culturel singulier (un style musical ou une pratique culturelle), ou encore, elle peut être une manière d’agencer ces éléments par la mise en marche d’une machine optique, au service d’une production de savoir. Dans cette deuxième perspective, c’est par leur participation à un ordre visuel que les scènes deviennent intelligibles.
3. Contributions des auteurs
Les auteurs ayant contribué à ce numéro évoluent, pour la plupart, dans divers secteurs des études culturelles ou médiatiques (Casemajor, Straw, Rouleau, Reia, Halliday, Soldani, Rochow, Schoen). Nous nous réjouissons également d’accueillir les contributions de spécialistes en géographie (Gwiazdzinski), en histoire de l’art (Yuen), en philosophie (Silva) et en arts visuels (Radwanski). Cette diversité confirme la portée de la question de la visualité, qui s’est récemment trouvée mobilisée dans de nombreuses recherches visant à comprendre les scènes esthétiques, sociales et politiques de la vie urbaine contemporaine.
L’essai évocateur de Luc Gwiazdzinski sur le mouvement français Nuit debout fait contraster les images de ce mouvement par rapport à ce qu’il nomme les visualités conventionnelles de la crise politique : celles d’un président s’adressant à la nation lors d’une allocution télévisée, ou d’une marche politique soigneusement organisée. En des termes applicables à une variété de scènes—celles des mouvements politiques, mais aussi de la musique et d’autres scènes culturelles—Gwiazdzinski capture le caractère « multiscalaire et fractal » de la forme Nuit debout, dont les contours géométriques et les dimensions sociales épousent ceux des localités et des unités spatiales plus vastes dans lesquelles le mouvement émerge.
L’article de Jonathan Rouleau sur Barcelone, à l’instar de celui de Gwiazdzinski, examine les pratiques de la nuit urbaine pour offrir une nouvelle compréhension des formes et des relations à travers lesquelles les villes produisent des scènes et opèrent comme terrains de visibilité. En effet, Rouleau déploie le concept d’archipels nocturnes de Gwiazdzinski pour donner forme aux terrains compacts de la sociabilité nocturne barcelonaise, récemment transformés en terrain de jeu pour les touristes, ce qui suscite une vague d’opposition politique. La visualité des scènes nocturnes de Barcelone est marquée par un ensemble de relations en mouvement entre l’avant-plan (foreground) et l’arrière-plan (background), entre d’un côté le spectacle des festivités—qui implique généralement des touristes étrangers (outsiders), dont l’irruption focalise l’attention, remet en question les valeurs locales et suscite la désapprobation—et de l’autre côté, la routine du travail quotidien de la population locale, dédiée à l’entretien des infrastructures au sein desquelles ces spectacles se déploient.
Dans son étude détaillée du film Slacker (1991) de Richard Linklater, Maria Teresa Soldani suggère que la notion de scène entrecroise plusieurs niveaux de visibilité isomorphiques. Au tournant des années 1990, la réputée scène musicale d’Austin (Texas) n’était, en un sens, qu’une simple localisation de pratiques culturelles et musicales, mais elle est aussi devenue—grâce au film de Linklater et à un réseau élargi de discours—la synecdoque d’une culture nationale de musique alternative et d’un phénomène générationnel (la génération X) à travers lequel cette culture a été comprise. Nous pouvons observer ici, comme dans les travaux de Gwiazdzinski sur Nuit debout, les propriétés multiscalaires des scènes, leur capacité à se répliquer en motifs diversifiés qui se déploient dans l’espace pour gagner une cohérence globale en tant que phénomènes sociaux ou politiques, à différents niveaux de généralité. Au premier niveau de l’analyse de Soldani, la scène d’Austin est approchée comme un ensemble d’économies gestuelles qui s’activent sur le terrain (ground-level) de ce qu’elle nomme un « espace de flux et de rencontre » marqué par les mouvements lents et indéterminés des individus dans l’espace urbain. Au niveau supérieur, l’analyse révèle une génération qui revendique, par son laisser-aller (slackness), son désengagement des systèmes politiques perçus comme aliénants. Au sujet du film Slacker, Soldani suggère que « le mouvement de la caméra dérivant à travers l’espace des scènes révèle les multiples facettes humaines d’un phénomène générationnel ».
L’article de Rebecca Halliday s’intéresse à la place de la photographie dans le circuit de la Semaine de la mode (Fashion Week) qui implique de nombreuses villes occidentales, et illustre encore une fois que les dimensions visuelles des scènes fonctionnent à différentes échelles. Son analyse montre que dans le cas de cette scène, le domaine visuel peut être envisagé comme un champ de transactions constantes, impliquant la transformation des motifs visuels et des cadrages dans le mouvement de va-et-vient entre rue et piste de défilé. Ici, le champ de la photographie de mode peut apparaitre comme une force d’appropriation unidirectionnelle, absorbant les tendances du style de rue (street style) dans les formes commerciales et les institutions de la photographie de mode. Toutefois, comme le souligne Halliday, les villes cherchent aussi à construire des représentations d’elles-mêmes qui puissent contribuer à asseoir l’influence des créateurs de tendances issus de la rue, et ce dans le but de produire les signes d’un cosmopolitisme branché, qui les positionne comme haut lieu de la mode vestimentaire. Les rues et les pistes de défilé sont deux scènes prises dans une relation où se déploient authenticité et prestige, en continuelle négociation.
Le travail de Jhessica Reia sur la scène musicale straight edge[14] de São Paulo au Brésil invite à penser les scènes comme des contenants, des entités qui retiennent, à l’intérieur de leurs limites, l’ensemble des phénomènes qui structurent la vie de certains styles culturels ou de pratiques (lieux, formes médiatiques, rituels, styles visuels et positions idéologiques). Si la musique, dans la structure de cette scène, fournit un domaine d’expression relativement cohérent et partagé, les signes visuels contribuent à différencier plusieurs courants au sein de la culture straight edge, qui se manifestent par le choix d’accessoires et d’ornements singuliers. Plus largement, la gastronomie, le design, la signalisation, les marchandises subculturelles et l’environnement bâti peuvent être envisagés comme les caractéristiques distribuées de la scène de São Paulo—c’est-à-dire des objets partiels, fonctionnant pour la plupart dans le domaine du visuel, et par lesquels la scène acquiert sa stabilité infrastructurelle.
Dans leur comparaison entre la vie des musiciens de Copenhague (Danemark) et de Wellington (Nouvelle-Zélande), Kate Rochow et Geoff Stahl proposent ce qu’ils nomment une analyse photographique et cartographique, distincte de l’approche classique de l’ethnographie des scènes musicales. En cartographiant les itinéraires de plusieurs musiciens et en les invitant à dessiner des « cartes mentales » des lieux qu’ils habitent et parcourent, Rochow et Stahl dessinent les contours et les déploiements d’une scène, révélant comment elle s’ancre dans des trajectoires de déplacement et des imaginaires spatiaux. Inspirée par les travaux ethnographiques sur les « itinéraires musicaux » (musical pathways) dans les villes, cette contribution élargit la notion d’itinéraire de deux façons : premièrement, en considérant le mouvement des objets et d’autres types de matérialités (pas seulement humaine); et deuxièmement, en approchant l’itinéraire non pas comme une ligne, mais comme une juxtaposition complexe de rythmes. La dimension visuelle, dans cette analyse, repose sur l’activité cartographique grâce à laquelle les auteurs capturent « une pluralité d’expressions spatiales ».
Une des propositions originales de l’article de Steven Schoen réside dans sa façon de mobiliser les travaux de Kenneth Burke pour contribuer à ce que l’on pourrait appeler les études scéniques (scene studies). Dans l’analyse de Burke, la scène est « un terme générique exprimant le concept d’arrière-plan [background] ou de cadre [setting] de manière générale, autrement dit un vocable pour toute situation dans laquelle des agents ou des actions sont situés » (Burke, “Grammar of Motives” xvi ; en italique dans le texte original). À la suite de Burke, Schoen souligne que la scène n’est pas un « déjà là » de la vie urbaine qu’il suffirait d’identifier ou de reconnaitre; c’est plutôt l’action d’observer qui crée la scène et lui donne sens. Son étude de l’émission de téléréalité Taxicab Confessions, New York repose sur trois échelles d’analyse qui abordent la scène dans son sens théâtral : à l’échelle du taxi, où les occupants sont filmés par des caméras prétendument cachées; à l’échelle élargie de la ville, que Schoen décrit comme une « une scène d’expérimentation, d’excès et de transgression »; et au niveau des conventions de l’émission de téléréalité, qui met en scène des gens dits ordinaires, voire, sous divers aspects, grotesques.
La scène décrite dans l’article de Katherine Yuen sur la Nuit Blanche de Toronto relève principalement du domaine visuel. Elle concerne la façon dont des œuvres d’art disposées dans l’espace urbain interagissent avec un ensemble de significations sédimentées dans divers sites de la ville, en venant les commenter, les compléter ou les sublimer. Les œuvres présentées lors de la Nuit Blanche sont installées, pour une nuit, dans des réseaux de travaux et d’espaces, tels des nœuds pris dans ce que l’auteur qualifie de « réseaux multidisciplinaires des mouvements d’art contemporain ». Les commentaires sur la Nuit Blanche portent souvent sur deux types de relations : celles qui lient les œuvres aux espaces dans lesquels elles sont installées, et celles qui lient les bâtisseurs de la scène de la Nuit Blanche au caractère artistique de l’évènement. La déconnexion de certaines œuvres par rapport au contexte dans lequel elles sont présentées est une critique récurrente, suggérant que la Nuit Blanche perdrait son objectif original de tisser des liens avec la communauté. L’idée que les foules qui déambulent sur le parcours de la Nuit Blanche puissent considérer leur propre sociabilité publique comme l’intérêt central de l’évènement est un autre sujet de débat. Même si les termes clés servant à décrire et à évaluer la Nuit Blanche empruntent au vocabulaire visuel, Yuen souligne l’existence d’un contre-discours qui s’intéresse plutôt au son et à la parole. À l’origine, notent les critiques, les œuvres entraient en rapport avec le lieu de leur exposition sous la forme d’un dialogue critique. Désormais, ce dialogue s’efface dans le bourdonnement des foules qui voient la Nuit Blanche comme une nouvelle occasion de déambuler dans les rues de manière festive.
Le travail d’Armando Silva sur la visualité urbaine repose sur un projet mené depuis plusieurs années au sujet des imaginaires urbains, en lien avec plusieurs villes majeures de l’Amérique Latine et en collaboration avec des chercheurs de plusieurs disciplines. Avec à son actif la rédaction de nombreux ouvrages dédiés à des monographies de villes, ainsi qu’une contribution significative au festival d’art Documenta 11, le projet Imaginaires Urbains (Urban Imaginaries) examine la place des images au sein de la culture urbaine contemporaine. L’imaginaire, suggère Silva, se révèle à travers l’irruption dans un cadre social d’images suscitant l’émerveillement. La notion de scène, en ce sens, n’est pas tant mobilisée pour décrire une forme d’appartenance collective (comme lorsque nous parlons des scènes musicales), mais pointe plutôt l’émergence d’une « illusion fantasmatique » à travers la production d’une image qui participe à cadrer l’expérience de la vie urbaine.
Nous sommes ravis d’inclure dans ce numéro un dossier visuel composé d’une sélection d’images de la photographe d’origine brésilienne Livia Radwanski, qui a documenté une scène de musique transnationale connue sous le nom de Sonidero. Radwanski a fréquenté la scène Sonidero durant plusieurs années, dans le cadre d’un projet rassemblant des chercheurs et artistes issus de diverses disciplines, qui a mené à plusieurs expositions et publications. Dans l’entrevue qui accompagne le dossier visuel, la photographe insiste sur la riche culture matérielle dans laquelle le mouvement Sonidero se déploie—technologies mixtes, formes marchandes diverses et tenues vestimentaires colorées qui font la complexité du champ visuel Sonidero. Alors que les formes musicales du Sonidero circulent rapidement et informellement à travers de multiples circuits, les objets et images de cette scène s’accumulent dans l’espace urbain sous la forme de constellations visuelles.
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Notes
[1] Les traductions des textes anglais sont de l’auteur.
[2] Voir par exemple Hans Belting sur la corporalité et l’anthropologie visuelle.
[3] Pour une anthologie des méthodes en recherche visuelle, voir Eric Margolis et Luc Pauwels.
[4] Andre Mubi Brighenti préfère s’attacher à la notion de visibilité, au motif que la visualité serait un équivalent culturaliste du sens visuel (3). Se distanciant du champ des études culturelles, il adopte une approche socioépistémologique centrée sur la notion de visibilité « en tant que forme de ‘visualité générale’, élucidant le fait que le domaine du visible s’étend au-delà du domaine du visuel, au-delà de ce qui est perceptible par les sens » (3).
[5] Voir par exemple W.J.T. Mitchell sur « l’ordre visuel » (dans Boehm et Mitchell, « Pictorial Versus Iconic ») et Dominik Bartmanski et Jeffrey Alexander sur le « pouvoir iconique. »
[6] Voir aussi Susan Buck-Morss pour une discussion du projet de Benjamin sur les arcades, ainsi qu’Henrik Reeh pour une analyse de Kracauer en lien avec l’idée de culture urbaine moderne.
[7] Pour une discussion critique de ces modèles, voir David Lyon.
[8] Voir « Why art lovers are flocking to Mexico City. » The Telegraph, 27 octobre 2016 http://www.telegraph.co.uk/travel/destinations/central-america/mexico/articles/mexico-city-culture-guide/, consulté le 3 janvier 2017.
[9] Voir Alan Blum (« Scenes ») pour un développement de la discussion.
[10] De l’anglais « scenes of action », aussi traduit « lieux de l’action ».
[11] Voir « Johnny Guinn is king of Vicksburg chess scene. » The Vicksburg Post, 10 décembre 1966, http://m.vicksburgpost.com/2016/12/10/johnny-guinn-is-king-of-vicksburg-chess-scene/, consulté le 20 janvier 2017.
[12] Voir par exemple les différentes études proposées par Bennett et Peterson.
[13] Voir Shelemay pour une discussion productive de ces problèmes conceptuels et terminologiques.
[14] Le straight edge renvoie à un mode de vie strict qui renonce à l’alcool et aux relations sexuelles hors mariage, tout en revendiquant un goût pour la musique alternative et les rassemblements dans des clubs en soirée.